
De tout temps, on raconte dans ta famille une histoire de gémellité qui accompagnerait ta naissance. Tu as, semble-t-il, toujours communiqué avec une jumelle. Ton regard transperce le réel et voit au-delà. Il est bienveillant comme s’il écoutait une autre et était sur le point de lui répondre. Il y a cette pointe de complicité qui libère de la solitude et conduit à des fous-rires partagés, à des aventures complices et tendres. Tu aimes te tenir toujours droite et ferme comme si une danseuse allait entrer en scène avec toi pour un pas de deux. Toujours cette simple joie d’être avec une Autre et s’ensauvager avec bonheur à ses côtés. Elle te dicte des tenues excentriques. Le chemisier ouvert, brodé et attirant les jeunes mâles du village et les séduisant avec une assurance étonnante. Comme si une main douce et ferme te guidait depuis toujours. Tu es d’une beauté sublime, longiligne, à la chevelure bouclée, brune et dénouée. Des seins ronds et tendus de désirs fréquents et somptueux. Tu sais écouter des messages d’ailleurs, des secrets entendus par personne. Seule une aïeule a un jour lu sur ton visage tes redoutables pouvoirs : ils te permettent de parler avec une voix que personne n’entend, de guérir les petits, de soutenir le grand âge. Tu veux dans ton ventre farouche sentir à ton tour tressaillir des jumelles et les porter au grand jour de la félicité. Quand enfin la cloche du village sonne, toute la communauté sait que le grand secret est parvenu à maturité. Dans le berceau les deux refusent qu’on les sépare. Tu les fais téter simultanément et tu frissonnes quand elles s’accrochent à ta poitrine toutes les deux. Elles te ressemblent. On dit que la nuit tu portes l’une d’elles dans le lit voisin du tien. Ta sœur jumelle la berce alors et l’apaise. Vous vous unissez pour leur bonheur commun.
J M M – 17 septembre 2019.