a maquillé la lande
de mauve et de sang
la terre étreinte
entre ronces et racines
feule
et flambe par endroits
bruissement rauque sous nos pas
bûcher couvant sous la cendre
et cette douceur dans ton regard
est un lent poison
nos élans s’enfoncent doucement dans la saison
il commence à faire froid dehors
mais au dedans de nous
un petit feu brûle encore
un peu nous pourrons y réchauffer nos mains
et nos corps fatigués.Rentrons veux-tu. » S.O
Pour vous, est-ce que la pratique du langage poétique relève d’une hygiène mentale quotidienne ?
Je dirais plutôt une forme de méditation. Mon rapport à la poésie est en effet de l’ordre de la pratique, quotidienne et matinale. J’appartiens à une culture (et à une famille) de tradition orale. Longtemps, j’ai parlé pour ne pas écrire. Depuis quelques années, j’écris pour ne plus parler.
Par ailleurs, comment en êtes-vous finalement arrivée à la pratique de la traduction, à la poésie … mais en même temps est-ce que rester fidèle à une tradition spirituelle axée du les signes, les symboles, les morts est-il pour vous une gageure de reproduction de siècles en siècles ou au contraire d’émaciation individuelle, celle de la femme ?
Je crois que cette forme d’écriture est pour moi un retour aux sources, presque une régression, plutôt qu’une émancipation individuelle. Curieusement, je n’avais jamais écrit de poèmes – pas même à quinze ans comme beaucoup – jusqu’à la disparition récente de ma mère, qui était pratiquement autiste à la fin de sa vie. C’est alors que j’ai pris conscience que ce que j’avais toujours considéré comme « une langue étrangère », au même titre que celles que je m’appliquais à traduire jusqu’alors, était en fait à mes yeux une langue initiale. Une langue maternelle. On ne choisit pas sa langue maternelle, n’est-ce-pas ? On ne l’apprend pas, elle vous est transmise, on la reçoit, on la découvre, on l’explore. Il arrive même qu’on n’en comprenne pas tous les mots.
Le rapport au textes mystiques était toujours capital pour chaque être spirituellement impliqué, êtes vous lectrice ou auditrice du Talmud, du Zohar, de la Thorah ou est-ce que le message de la vie avant toute chose est, selon vous un acte de résistance face au pessimisme contemporain ?
Vous avez très justement mis le doigt sur le lien entre traduction et tradition. Il se trouve que j’appartiens à une longue lignée de talmudistes, kabbalistes, thaumaturges… En tant que femme, je n’ai eu qu’une approche très superficielle des textes dont vous parlez, mais ils font partie de mon héritage spirituel. Et bien sûr ils nourrissent mon écriture, peut-être même malgré moi. Vous savez sans doute qu’en hébreu le mot « vie » n’existe pas au singulier. La poésie n’est pas une manière d’enjoliver le monde mais au contraire une façon lucide d’être au monde, de vivre toutes les vies, de la molécule la plus élémentaire à l’organisme le plus complexe. C’est pourquoi je revendique, comme en littérature, le droit à la fiction. Un acte de résistance ? Oui, en forme de célébration.
Au-fond, l’oralité contemporaine (celle du forum Athénien), ce retour aux origines ne pourrait’il être par les réseaux sociaux, internet etc. une bonne chose ?
Le choix de FB comme support est essentiellement lié à mon refus de dépendre entièrement du désir d’un autre, d’un éditeur en l’occurrence. J’ai besoin de cette liberté d’écriture et de partage. Je m’interroge bien sûr sur la nécessaire préservation du principe de propriété intellectuelle, mais cela ne me semble pas justifier une diffusion plus confidentielle. S’il y a quelques aspects hermétiques ou strictement intimes dans ma poésie, ils seront préservés par leur caractère même.
Auriez-vous une madeleine de Proust à évoquer qui serait pour vous fondatrice d’une odeur, d’une forme, d’un paysage qui vous anime dans l’écriture et le rapport à la langue ?
Un grain d’orge bouilli dans de l’eau salée. Je sais, cela peut paraître étrange, mais c’est mon tout premier souvenir gustatif. Et c’est exactement la saveur un peu amère et la texture ferme et épurée de chaque mot roulé dans ma bouche avant que d’être écrit ou prononcé.
Bibliographie :
Stay hungry, Revue les Episodes, 06.1998
Retournement, pour l’exposition et le livre « Je déménage » de Carole Ivoy, 2004
Passagère clandestine, revue Intranqu’illités, n°1, réédité chez Zulma, 2015.
« Quarante. et Un » (chez Bruno Guattari Editeur – 2018)